Le trajet de Calais à Boulogne est une ravissante promenade. La route court à travers les plus beaux paysages du monde. Les collines et les vallées s’enflent et s’abaissent en ondulations magnifiques. Sur les hauteurs on a des spectacles immenses. A perte de vue des étages de champs et des prés cousus les uns aux autres ; de grandes plaines rousses, de grandes plaines vertes, des clochers, des villages, des bois qui présentent de cent façons leurs grands trapèzes sombres, et toujours, tout au fond, à l’occident, un bel écartement de collines que la mer emplit comme un vase. La route descend, tout change, on est dans le petit, dans le limité, dans le charmant ; trois arbres vous bornent l’horizon. Ou bien, c’est une ferme avec son tas de fumier et sa charrette aux quatre roues boueuses et rouillées ; ou bien un cimetière plein de ciguë en fleur, dont le vieux mur fait ventre sur la route. On est sous une allée basse de gros pommiers dont les branches égratignent joyeusement la voiture ; on passe près d’une haie d’où sortent comme des doigts crochus ces racines qui empoignent si bien la terre et qu’Albert Dürer aimait tant. On remonte, et l’on retrouve le ciel, la terre, la mer, l’infini. Vraiment, je suis ébloui, chaque jour, de toutes les merveilles que Dieu fait avec du vert et du bleu. […].
Victor Hugo 1837